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MASSES FANTÔMES

Si l’intrigue de Hacker ressemble à une série B bien plate, c’est à un autre niveau qu’il faut creuser pour en esquisser toutes les richesses. 

 

Comment filmer et matérialiser le flux ? C’est à cette question que Michael Mann semble vouloir répondre dès l’ouverture de Hacker. Large plan d’ensemble sur une centrale nucléaire chinoise, puis plan moyen à l’intérieur de la salle informatique - centre névralgique de la centrale -, jusqu’à un ultra gros plan offrant à notre regard un monde imperceptible fait de circuits électroniques, de données et de vitesse. Tout l’enjeu du film réside sans doute dans ce plan séquence augural et passionnant, proche de l’abstraction, qui dure plusieurs minutes : se diluer dans le flux, en remonter les traces, faire disparaître « notre » monde, jusqu’à rendre tangible, enfin, ces lignes de code immatérielles pour nous aider à penser notre contemporanéité. Comment, en effet, ne pas oublier que ces flux ont aussi une existence concrète (les hangars de stockage des données) et surtout des impacts directs sur ce que Rimbaud appelait la « vraie vie » ? Comment rendre sensible le spectateur à cet univers bien réel (et non virtuel comme souvent dit) qui bouleverse nos manières d’être au monde ?

Trajectoire
Analysée sous cet angle, on comprend mieux la trajectoire de Nicholas Hathaway (interprété par Chris Hemsworth), « black hat » hors pair, que les services secrets chinois et américains font sortir de prison pour déjouer les plans d’un dangereux hacker – l’intrigue, par ailleurs, est bourrée de clichés mais ce n’est pas ce qui nous intéresse dans le film.

Surnommé « Ghostman », Hathaway n’est dans un premier temps qu’un fantôme, un être sans la moindre consistance et dont la quête sera de recouvrer une identité au-delà des médiations faisant écran entre lui et le monde (en cellule, il passe son temps à lire, à écouter de la musique, semble obsédé par quelques photographies le reliant sans doute à son ancienne vie). Comme toujours chez Michael Mann, la confrontation finale est un moment métaphysique où l’enjeu n’est pas tant de clore le récit que d’achever la mue de son personnage principal. Au milieu d’une foule d’Indonésiens semblant bizarrement absents à la tuerie qui est en train de se jouer sous leurs yeux - qui sont les fantômes ? -, Hathaway ne trouvera son salut qu’en passant par le corps à corps, par l’épreuve physique la plus radicale et le combat au couteau et au tournevis, pour venir à bout de son ennemi jusque là « virtuel ». Dans cette séquence, ce qui frappe c’est la multiplicité des corps formant une masse, tels des flux de données identiques et pourtant tous différents, face auxquels les personnages principaux avancent à contre courant, comme des bugs informatiques dans un système trop bien huilé. « On ne t’a jamais approché d’aussi près » lance à Hathaway l’un des dangereux hommes de main, terroriste forcené, résumant en une réplique a priori anodine le questionnement central du film : la nécessité d'effleurer le matériel dans l'immatériel. 


La menace des masses fantômes

Capitalisme, mon amour

En ce sens, Hacker est surtout un film sur le capitalisme moderne, comme l’était déjà Miami Vice (2006). Là aussi, Mann est plus malin qu’il n’en a l’air et ce n’est sans doute pas pour rien qu’il choisit comme méchant un personnage aussi désincarné et anodin que celui interprété par Yorick Van Wageningen. On est loin du De Niro de Heat (1995) ou du Tom Cruise de Collateral (2004). Métaphore du capitalisme destructeur, la figure du mal dans Hacker ne s’embarrasse d’aucun questionnement moral quant à la portée de ses actions, paye des gens pour agir à sa place, vole des lignes de code et va même jusqu'à porter des chemises moches et vulgaires. N’éprouvant aucun remord devant les dégâts et les morts causés par sa cupidité, il incarne bel et bien l’amoralité absolue du système économique actuel, totalement détaché du réel. En cela il se distingue radicalement de son homme de main – « bras armé » du capitalisme – à qui Michael Mann, par un simple plan sur son regard triste quand il apprend la mort d’un de ses hommes, confère une part d'humanité qui semble à jamais perdue chez son employeur. À l’inverse, ce dernier confesse, sans la moindre gêne, ne rien ressentir face à la mort des hommes qu’il emploie, quand bien même il s’agirait de ses plus proches collaborateurs.

Constat glaçant professé par un Michael Mann esquissant en creux une critique sévère de nos affects contemporains et asseyant toujours un peu plus sa posture de cinéaste en phase avec son époque.

Hacker (Black Hat) de Michael Mann / USA / 2h10 / avec Chris Hemsworth, Leehom Wang, Wei Tang, Viola Davis, Yorik Van Wageningen / scénario de Morgan Davis Foehl

HACKER de Michael Mann
Tag(s) : #cinéma
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