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A priori, quand Terrence Malick réalise un film, on pourrait penser qu'il s'évertue à célébrer l'académisme, le pompiérisme, le myheartwillgo-onisme : de la voix-off à peu près tout le temps, de la musique dans à peu près toutes les scènes (et plutôt du genre chant d'église habité), des personnages accablés par d'incessants dilemmes métaphysiques (mention spéciale à Sean Penn dans Tree of Life), ou encore des dialogues mêlant sans vergogne mysticisme et lyrisme outrancier (où allons-nous ? c'est quoi la vie ? les frères Bogdanov sont-ils vraiment humains ?).

 

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 Le coup du dinosaure : fallait ou fallait pas ?

 

Pour toutes ces raisons, Malick agace autant qu'il émerveille, et rien que pour ça on a envie de le remercier. Oser, tenter, rechercher, innover, voilà des verbes pas si fréquents au cinéma. On parle un peu vite à son encontre de cinéma "pompier", "boursoufflé", alors que tout semble indiquer le contraire. Les plans tout autant que le récit ne sont chez Malick qu'épure et minimalisme. Un regard, un lent travelling, une précision inouïe du cadre, suffisent alors à évoquer des idées et des sensations rarement esquissées au cinéma, dépourvues de toute causalité.

 

Extérieur aux normes

 

Les protagonistes de tous ses films sont en butte à un ordre établi :  Kit contre la société normalisatrice dans La balade sauvage (1974), Bill contre l'aliénation au travail dans Les moissons du ciel (1978),  Witt contre sa hiérarchie militaire dans La ligne rouge (1998), John Smith contre l'Empire colonial dans Le nouveau monde (2005), jusqu'à Jack contre la première autorité qui soit, celle du père dans Tree of Life (2011). D'une manière ou d'une autre, ce sont tous des déserteurs, trop lucides quant au monde dans lequel ils évoluent, nostalgiques d'un ailleurs. Cette incompréhension face au monde, nous en souffrons tous, mais peu de cinéastes savent l'évoquer avec la finesse et la profondeur de Terrence Malick.

Tous ces personnages semblent avoir renoncés à la vie sous sa forme dramatiquement quotidienne et parviennent à interroger un état supérieur, détachés des contingences ordinaires pour observer la vie à un autre niveau. Si Kit dans La balade sauvage est l'archétype du personnage insaisissable et extérieur aux normes, Tree of Life pousse à l'extrême cette démarche en célébrant sur un même plan l'intime et l'universel, le soi et le tout, le plein et le néant, la voie de la nature et la voie de la grâce.

 

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Le plan malickien dans toute sa splendeur : contreplongée verticale

 

S'étonner du quotidien

 

C'est peut-être là que le film déroute le plus : Malick est-il un cinéaste incroyablement prétentieux ou d'une rare humilité ? Prétend-il nous expliquer en 2h19 la création de l'univers ou s'efface-t-il complètement face à l'immensité de son sujet pour ne proposer qu'un cinéma de sensations ? Son opiniâtreté à refuser de donner la moindre explication est à cet égard plutôt stimulante. C'est à nous spectateur de placer dans ces images le sens et la poésie qui nous correspondent. Chantre d'un relativisme absolu plutôt que d'une soi-disante religiosité affreusement explicite, Malick oppose savoir et croyance. La méthode type socratique qu'il choisit d'appliquer ne sert en rien à dévoiler une prétendue vérité cachée derrière les apparences, mais révèle plutôt l'ignorance avec laquelle nous devons composer, loin des pseudo-certitudes qui nous dominent au quotidien. Pas de réponse donc, et c'est peut-être l'une des raisons - outre sa prétendue timidité - pour laquelle Terrence Malick refuse tout entretien : éviter d'avoir à interpréter certaines images et citations ne pouvant se satisfaire d'aucun cadre normalisateur dans lesquels on aime tant s'enfermer.

Une fois cette ignorance acceptée et la foi placée dans un relativisme sans limite, le champ des libertés et des possibles est infini. Pourquoi pas, dès lors, oser quelques plans sur un ou deux dinosaures (très furtifs cela dit, comparé à l'importance qu'on leur accorde) ? N'ont-ils pas la même fonction que les séquences du père avec ses enfants ? Malick accorde la même attention à tout ce qu'il filme, quitte à renoncer à un cinéma strictement narratif et à s'abandonner à un cinéma de l'étonnement.

 

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Avec Malick on prend son pied (idiotheque en partenariat avec Rires&Chansons)

 

On pourrait pérorer des heures durant autour de ce cinéma qui nous échappe, se dérobe, mais qui a l'immense mérite de fasciner par les questions infinies qu'il suscite. A chacun de s'en saisir et d'élaborer sa propre petite philosophie de comptoir, pas toujours aussi abjecte qu'on a tendance à le dire, tant qu'elle nous aide à penser notre monde et nos trajectoires.

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