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Quand le cinéma français s'empare de Platon et s'essaie à la critique des médias, le spectateur avisé part regarder Network de Sidney Lumet.

 

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Superstar c'est l'histoire de Martin Kazinski (Kad Merad, regard de merlan frit pendant 1h50), un mec "banal", qui du jour au lendemain est traqué par toute la populace et les médias sans la moindre raison. Le "quart d'heure de célébrité" vendu par Andy Warhol se transforme vite en cauchemar pour ce brave Martin qui n'aspire qu'à retrouver son anonymat. Face au déchaînement médiatique qui ne tarde pas à le broyer, une seule question l'anime : "pourquoi ?"

 

Pourquoi ?

"Pourquoi ?", voilà sans nul doute la question que se pose le spectateur à l'issue de ce spectacle qui emprunte à la fable "kafkaïenne" (guillemets de rigueur) son côté surréaliste et avait pourtant sur le papier de quoi séduire (entre l'image et le réel, quelle place pour l'individu ?). 

Xavier Giannoli se rêve pamphlétaire ? Diantre. Superstar sera son "J'accuse !" : une charge contre les médias, la télévision, Internet, les blondes cruches qui veulent faire de la culture, la mafia et les boîtes de nuit, les Fogiel Delarue (RIP) Morandini, la clientèle des supermarchés et le cynisme qui ronge notre société jusqu'à la moëlle. Tout un programme.

De cynisme, le film en regorge pourtant. Et Giannoli n'est au final pas si éloigné de ce producteur d'émissions télévisées qu'il filme avec un mépris inconsidéré (Louis-Do de Lencquesaing).

 

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Ambiance concert de Coldplay dans la ligne 3

 

Parce que !

Étrange sensation que de voir un réalisateur porter l'estocade aux médias en semblant oublier que le cinéma en est un lui aussi, de média. Cette posture élitiste et moralisatrice pose évidemment problème. Elle conforte dans leur contentement les réactionnaires de gauche qui voient toutes leurs thèses bien-pensantes validées (sur la télé poubelle, les médias de masse, l'abrutissement des individus face à l'absence de cette prétendue "culture cultivée"). Une vraie pensée de gauche doit pourtant se débarrasser de ces oripeaux hiérarchisants si elle souhaite renouer avec ce qu'il est coutume d'appeler la "base".

Second problème, en usant et abusant de clichés, Giannoli ne fait qu'enfoncer des portes ouvertes et tirer sur des ambulances, jusqu'à faire d'un transexuel, un rappeur noir et un trisomique les seuls personnages positifs du film. Ne manque plus qu'une lesbienne juive et arabe pour compléter le merveilleux portrait de la tolérance 2012. Serge Daney disait qu' "un cliché ce n'est ni vrai ni faux, c'est une image qui ne bouge pas. Qui ne fait bouger personne. Qui rend paresseux". Parler pour ne rien dire, voilà bien tout l'enjeu de Superstar. Si seulement le film se contentait de cela.

 

Le danger des images ?

Plus grave encore, son manichéisme l'incite à jeter l'opprobre sur les cultures numériques dans leur ensemble, sans distinction aucune, ou plutôt en n'abordant la question que par un bout de la lorgnette - le moins reluisant bien entendu. Superstar, du début à la fin, s'échigne à ne montrer que le pire des pratiques et des comportements produits par le web qui ferait de nous des moutons de panurge incapables de séparer le bon grain de l'ivraie, aveuglés par les effets de mode et une profusion d'images produisant en nous une fascination macabre. La rapidité de ces flux visuels n'aurait d'égal que leur inanité (Martin Kazinski est détesté aussi vite qu'il est admiré). Réduire ainsi le monde médiatique et la réception qui en est faite à une immense déchetterie à ciel ouvert sublime la posture rétrograde et puritaine des personnalités de gauche comme Giannoli, dont il se fait ici le parangon. Posture plus que contestable que de vouloir mettre toutes les images dans un même panier.

 

Opposons tout d'abord à ce point de vue que s'ils sont capables de produire le pire, les médias - et tout particulièrement Internet - contiennent également leur antidote : un réservoir infini de contre-discours, de contre-cultures, de critiques, de réaffirmation démocratique - autant de garde-fous qui, s'ils ne sauront à eux seuls construire une société plus heureuse, n'en demeurent pas moins essentiels et emblématiques des évolutions qui animent nos sociétés contemporaines.

Tout cela pourrait n'être qu'anodin. Giannoli pourrait n'être qu'un moraliste maladroit échouant à formuler en images le raffinement de sa pensée. Son discours, me semble-t-il, remplit au contraire une fonction bien précise, celle de conforter un ordre établi, celui des dominants qui savent mieux que quiconque ce qu'il faut regarder, aimer, écouter, lire, penser. Posture dans laquelle on tombe facilement et qu'il faut justement savoir critiquer.

Les moralistes comme Giannoli (dans le sillage des BHL et consorts) ne remettent à aucun moment en cause leur propre regard et cherchent au contraire à imposer leur vision du monde, leur doxa, à ces "masses incultes et aveuglées". Pour eux, on vit toujours dans la caverne de Platon. 2 400 ans après, quelqu'un pourrait peut-être leur signaler que le monde des images a depuis bien changé...

 

Superstar

de Xavier Giannoli

France / 2012 / 1h50

avec Kad Merad, Cécile de France, Louis-Do de Lencquesaing

scénario Xavier Giannoli et Marcia Romano, d'après l'oeuvre de Serge Joncour


Tag(s) : #cinéma
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